Note : cet article contient des spoilers mineurs sur les personnages (qui ils sont, leurs relations, etc.) mais pas sur l’intrigue en elle-même. J’y parle aussi succinctement des épisodes I à VII et Rogue One.
La représentation des groupes opprimés dans les médias est à la fois le reflet de la société actuelle et un moyen d’influencer en retour la société – dans le bon sens comme dans le mauvais sens selon ce qui est montré. De manière générale, la représentation dans les médias est un aspect non négligeable de tout militantisme pour les droits de personnes discriminées en raison de son impact sur la société. Star Wars est une saga méga connue, qui a bercé plusieurs générations. C’est un média consommé en masse qui fait à présent partie de la culture populaire, et c’est bien pour ça que l’inclusivité dans ces films est si importante.
Or, l’inclusivité dans les anciens opus de la saga laissaient fortement à désirer. En ce qui concerne les femmes, il y avait bien sûr Leia jouée par Carrie Fisher dans la première trilogie, mais c’était le seul personnage principal féminin. Leia était malgré tout un bon personnage pour l’époque, elle a du relief, une histoire et un rôle clé dans le scénario. Mais elle était aussi victime de clichés sexistes. Elle possède la Force, mais ne s’en sert pas réellement au delà d’intuitions alors que son frère Luke, interprété par Mark Hamill, lui devient Jedi. C’est d’ailleurs une de mes plus grosses critiques envers la première trilogie de Star wars. Ensuite, on peut largement critiquer la relation qu’elle a avec Han Solo (Harrison Ford), teintée de culture du viol. Pour terminer, il faut reconnaître que le début de l’épisode VI, Le Retour du Jedi, est carrément objectifiant – elle est maintenue prisonnière à moitié à poil.
Leia dans l’épisode VI (source)
La prélogie n’est pas beaucoup mieux en terme de représentation des femmes – voire pire en fait. Padmé, jouée par Nathalie Portman, est encore une fois le seul personnage principal féminin – et il n’y a aucun personnage féminin Jedi malgré le nombre assez élevé de Jedi qu’on voit dans la prélogie (non, une extraterrestre bleue qui se fait zigouiller sans avoir eu une seule ligne de dialogue dans le III, ça compte pas). Padmé a certes du relief et un rôle central, mais elle sert aussi de décoration alors qu’elle change un nombre incalculable de fois de costumes. L’épisode III, La Revanche des Sith, a carrément détruit le personnage de Padmé en la réduisant à un rôle de meuf enceinte* larmoyante et inutile – et on peut dire qu’elle a la mort la plus pourrie de toute l’histoire du cinéma (*non pas qu’être enceinte soit un problème, mais là elle est réduite qu’à ça).
Un aperçu des costumes de Padmé (source)
En ce qui concerne la représentation des personnes racisées dans les anciens Star Wars, il y a surtout Lando (Billie Dee Williams) dans la trilogie originale, Maître Windu (Samuel L. Jackson) et Jango Fett (Temuera Morrison) dans la prélogie qui sont des personnages secondaires. Ce sont des personnages cool, mais les films manquent quand même globalement de diversité à mon humble avis. Sans parler du racisme rampant dans la représentation des aliens (racisme anti-asiatique : les aliens de la chambre du commerce, antisémitisme : lié au personnage de Watto, négrophobie avec les Gungans & enfin les hommes des sables qu’Anakin massacre et traite d’animaux).
Lando dans le V (source)
Pour finir*, la représentation des personnes LGBT+… attendez, quelle représentation ???
*[Il y a bien sûr d’autres groupes marginalisés qui méritent une représentation médiatique et qui sont totalement invisibilisés (les personnes handicapées, neuroatypiques, grosses, etc.) mais je ne me concentre ici que sur les 3 groupes que j’ai cité.]
Heureusement, l’épisode VII, Le Réveil de la Force avait fait considérablement mieux en terme d’inclusivité que tous les films précédents. En effet, le trio de tête du VII est composé de Finn un homme noir (John Boyega), Poe un homme latino (Oscar Isaac) et Rey une femme blanche (Daisy Ridley). On avait enfin une meuf Jedi (il était temps !) et dans cet opus, Rey n’était pas objectifiée comme avait pu l’être Padmé ou Leia. Le film passait tout juste le test de Bechdel (deux femmes parlant d’autre chose que d’un homme & deux personnes racisées parlant d’autre chose que d’une personne blanche) grâce au personnage de Maz, mais c’était limite car l’actrice Lupita Nyong’o est transformée grâce à des images de synthèses. Néanmoins, il n’y avait toujours pas de personnage LGBT+ dans Le Réveil de la Force.
Les personnages principaux du Réveil de la Force (source)
Dans le spin off Rogue One, la représentation des personnes racisées est encore une fois meilleure mais par contre je trouve que Rogue One fait moins bien que le Réveil de la Force en terme de représentation des femmes (je ne crois pas que le film passe le test de Bechdel pour ça, mais je ne l’ai pas revu depuis un moment). Et toujours pas de personnes queer.
(source)
On peut donc décemment dire qu’il y avait de nettes améliorations avec Le Réveil de la Force et Rogue One. Et bien Les Derniers Jedi, l’épisode VIII sorti ce mercredi 13 décembre en France, fait encore mieux ! – oui on m’accuse de beaucoup critiquer alors laissez-moi vous montrer que je suis aussi positif quand il y a de quoi. Analysons donc tout cela.
1 – La représentation des femmes dans Les Derniers Jedi
Dans ce nouvel épisode de la célèbre saga Star Wars, on retrouve bien évidemment Rey et Leia. Leia y occupe une place plus centrale que dans Le Réveil de la Force. On a également deux nouveaux personnages féminins centraux du côté des rebelles : Rose (interprétée par l’actrice Kelly Marie Tran, américaine d’origine vietnamienne) et Amilyn Holdo – une générale (Laura Dern). Etant le genre de personne qui refuse de savoir le moindre truc avant d’aller voir un film que j’attends autant, je ne m’y attendais pas du tout et j’étais agréablement surpris de voir ces deux nouveaux personnages. Elles ont du relief et un rôle clé. Je reparlerai d’elles un peu plus tard.
(source)
Outre Rose et Holdo, les femmes sont beaucoup plus présentes de manière générale. Il y a des femmes figurantes qui ont de courts dialogues – des femmes pilotes, des femmes rebelles, des femmes du côté des méchants aussi, etc. Autre aspect non négligeable : ces femmes sont diverses. En effet, on voit des femmes noires, des femmes asiatiques, des femmes blanches, des femmes âgées, des femmes jeunes, des femmes qui commandent, des femmes qui meurent en héroïne, des femmes qui font diverses activités, des femmes « méchantes » et des femmes « gentilles », etc.
Le film passe le test de Bechdel grâce à plusieurs courts dialogues entre la générale Holdo et d’autres femmes rebelles sur le vaisseau. On peut tout de même reprocher à ces interactions leur courte durée comparée à la durée moyenne des interactions entre hommes (en effet le test de Bechdel reste un outil assez arbitraire qui n’est pas suffisant à lui tout seul pour qualifier un film).
Fait également notable : Leia utilise réellement la Force pour la première fois en 5 films où elle apparaît [spoiler : elle se sauve la vie en rentrant dans le vaisseau puis défonce une porte un peu plus tard dans le film]. Voilà donc mes critiques à la première trilogie qui trouvent « réparation » en quelques sortes.
2 – La représentation des personnes racisées dans Les Derniers Jedi
Là encore, ce nouvel épisode relève le niveau puisqu’une nouvelle personne racisée fait son apparition dans les personnes principaux, à savoir Rose que j’ai présenté tout à l’heure. C’est d’autant plus marquant qu’il est plus rare de voir des femmes racisées que des hommes racisés dans les médias.
Outre l’arrivée de Rose dans les personnages principaux, les personnes racisées sont également présentes parmi les figurants et sont diverses. Il y a notamment pas mal de femmes racisées contrairement à ce qu’on voit d’habitude.
Le film passe haut la main le test de Bechdel puisqu’on a une longue scène où Rose interagit avec Finn, puis avec Poe en plus, et même Maz à la fin. Autant les interactions entre femmes sont très courtes, autant ce passage dure. Puis Rose et Finn sont amené-e-s à être pas mal ensemble durant le film donc y a d’autres scènes qui passent le test mais à ce moment du film je comptais plus, j’étais trop à fond dedans lol.
Pour terminer sur ce point, ajoutons que [attention spoiler] Finn et Rose s’embrassent et c’est pas le type de relation normative qu’on voit à Hollywood en général. D’ailleurs, j’espère qu’on n’aura pas un triangle amoureux pourri avec Rey XD J’aime bien Finn et Rose ensemble, et Rey toute seule. [fin spoiler]
Rose et Finn (source)
En conclusion, en ce qui concerne la représentation des femmes et des personnes racisées, le film est plutôt bon, meilleur que les anciens Star Wars et même meilleur que pas mal de films tout court. C’est Le Réveil de l’inclusivité (si si c’est drôle !) Ce que j’ai apprécié, c’est d’avoir non seulement des personnages principaux féminins & racisés faisant partie intégrante de l’histoire, avec du relief, mais aussi pas mal de figurant-e-s, parce que du coup les femmes et personnes racisées deviennent une « partie normale du paysage » au lieu que ça soit que des mecs cis blancs, ça normalise leur présence dans tous les aspects du film. (Honnêtement je me suis pas amusé à compter toustes les figurant-e-s dans tous les Star Wars pour être sûr que y’avait plus de diversité dans le VIII, mais c’est bien ce qu’il m’a semblé).
3 – La représentation des personnes LGBT+ : un nouvel espoir
Si mes blagues ne vous ont pas encore fait fuir, je vais à présent vous reparler de la générale Amilyn Holdo, cette femme aux cheveux violets. Lorsque Leia est blessée et ne peut plus assurer le commandement des rebelles, on apprend qu’elle a désigné Amilyn pour prendre sa place. C’est un peu intriguant car ce personnage semble sortir de nulle part et pourtant Leia la connaît très bien et lui fait suffisamment confiance pour prendre ce poste. Après quelques recherches sur le net, ce personnage provient d’un roman récent (Leia : princess of Alderaan par Claudia Gray). Or, dans ce roman, il y a un dialogue où elle sous-entendrait être bisexuelle (même si le mot n’est pas utilisé et que c’est pas forcément très clair).
Revenons-en au film. Il peut être difficile de représenter un personnage bisexuel durant un film de 2h30. En effet, on voit mal le personnage parler de son orientation ou de ses attirances en plein milieu d’une baston. Quand le scénario ne s’y prête pas, ça tomberait comme un cheveu sur la soupe. Le seul moyen de montrer qu’un personnage n’est pas hétéro est alors de lui donner un-e partenaire [représenter une relation amoureuse en plein milieu d’une baston ça tombe aussi comme un cheveu sur la soupe de mon point de vue d’aromantique mais bref XD], mais pour une personne bisexuelle ça voudrait dire qu’il faudrait avoir le temps de développer deux relations avec deux genres différents – c’est pas forcément possible en 2h30 ni réaliste de ce qu’est la bisexualité (on peut être bi et n’être sorti qu’avec des gens d’un seul genre). Du coup, les films récents qui ont un personnage bisexuel ont trouvé une parade : confirmer hors écran que le personnage est bisexuel. Du coup, quand on regarde, on sait que le personnage est bi mais l’histoire n’est pas centrée sur ça. C’est le cas avec Atomic Blonde par exemple [spoiler : dans le film on la voit avec une femme, mais sans la confirmation hors écran de sa bisexualité, le film ne permet pas forcément de trancher entre lesbienne/bi]. Du coup, ça me paraît assez intéressant comme stratégie de représentation qu’ils aient choisi un personnage qui a parlé de ses attirances dans un livre pour le mettre dans Les Derniers Jedi (même si encore une fois, c’était pas assez explicite dans le bouquin à mon goût pour ce que j’ai pu en lire, mais bon on va devoir s’en contenter pour cette fois).
(source)
Autre fait intéressant, elle a les cheveux violets – et c’est le seul personnage avec des cheveux colorés. Or, le violet est une couleur bisexuelle. De plus, les cheveux colorés sont une tendance culturelle dans la communauté queer (même si évidemment toutes les personnes queer n’ont pas les cheveux colorés et inversement, ça me paraît quand même être un fait suffisamment marquant pour que cela ne soit pas anodin). La coloration des cheveux avait d’ailleurs déjà été utilisée comme stratégie de représentation bisexuelle dans Sense8 où le personnage d’Amanita porte les couleurs du drapeau. (Au fait, pendant que j’y pense, l’âge de Amilyn Holdo est aussi intéressant car ce sont généralement des personnes LGBT+ plus jeunes qui sont représentées.)
Bon et ce n’est pas tout [attention va y’avoir un spoiler]. Alors que Leia doit quitter le vaisseau et laisser Amilyn Holdo à une mort certaine (oui du coup elle meurt, enterrez vos queers comme on dit), Leia dit quelque chose comme « je ne veux plus perdre d’être chers » (elle fait référence à la fois à la mort d’Han Solo dans le VII et au fait d’avoir métaphoriquement perdu son fils – donc elle tient manifestement vraiment beaucoup à Holdo), elles échangent un regard chargé d’émotion et il y a un gros plan sur leurs mains qui se tiennent. Si ça c’est pas une groooosse allusion, je sais pas ce que c’est. Oui, ça peut être interprété comme un signe de forte amitié, mais tous les éléments que j’ai cité avant plus ça, ça me paraît quand même être assez clair. [fin spoiler] Rappelons-nous que les gens sont toujours frileux pour représenter une relation queer à l’écran et laissent souvent planer le doute. C’est un peu nul en terme de représentation de faire ça, j’aurais préféré que ça soit explicite. Maiiiis, c’est aussi un pas vers plus d’inclusivité dans le futur. Bon, peut-être que j’interprète trop de choses là où il n’y a rien à interpréter vous allez me dire et que y’a rien de queer là-dedans, le mystère restera entier je suppose. En tout cas, moi ça m’a fait du bien quand même de voir ça et de pouvoir l’interpréter comme ça.
Conclusion :
Les Derniers Jedi améliore encore la saga Star Wars en terme de représentation des femmes et des personnes racisées et sous-entend la présence d’au moins un personnage queer/bisexuel si ce n’est deux. Tout ceci fait partie d’une dynamique globale dans laquelle de plus en plus de films grand public tendent vers l’inclusivité. Le bilan me semble donc positif et prometteur. En espérant que l’épisode IX continue sur cette lancée et ose nous montrer un personnage/une relation explicitement queer.
Bonus : il y a des petits « passages vegans » (si on peut appeler ça comme ça) : alors que Chewie s’apprête à manger une espère d’oiseau aux pattes palmées, il s’aperçoit que ce sont des êtres sentients et il renonce à les manger. Il y a aussi un moment où des espèces de chèvres-chevaux (appelés fathiers je crois) servent de monture et sont maltraitées et où Rose va finalement aider à les libérer.
Moi j’avoue que niveau représentation LGBT le baiser Finn/Rose m’a bien déçu, parce que évidemment pas mal de gens ship Finn/Poe. Alors c’était pas dis vraiment, mais je trouve que scénaristiquement ça aurait eu beaucoup plus de sens que Finn/Rose où tout du long pour une fois j’me disais chouette une amitié fille/mec pas ambiguë… Mais sinon pour le reste je suis bien d’accord oui :3
J’aimeJ’aime
On peut toujours shiper un trio polyamoureux Finn/Poe/Rose ? O:) J’en demande peut-être un peu trop ahah
J’aimeJ’aime
Perso j’aurais voulu Finn / Poe / Rey aussi.
Au passage l’acteur de Poe est latino même si whitepassing
J’aimeJ’aime