Janelle Monáe vient tout juste de sortir « Dirty computer », son nouvel album accompagné d’un petit film.
- Le contexte et le concept derrière l’œuvre
Il serait difficile de décortiquer en quelques paragraphes le très queer « Dirty computer » de Janelle Monáe qui s’impose comme une œuvre empouvoirante pour divers groupes opprimés et leurs intersections : les personnes queer, les femmes, les personnes racisées et notamment noires. Après de longues rumeurs sur son orientation, Janelle Monáe révélait en effet avec la sortie de cet album qu’elle est pansexuelle et s’identifie comme une femme queer noire. Ses anciens titres laissaient déjà entrevoir des amours saphiques (entre femmes). Citons par exemple « Q.U.E.E.N. » dont le titre original était « Q.U.E.E.R. » – mot que l’on entend encore dans la chanson.
Ce nouvel album est accompagné d’un petit film de 48 minutes qui se passe dans un futur dystopique racontant l’histoire de Jane (jouée par Janelle Monáe), qualifiée de « dirty computer » car elle est non conforme au système. Tout du long, elle subit un « nettoyage » au cours duquel ses souvenirs sont effacés et qui n’est pas sans rappeler les thérapies de conversion imposées aux personnes queer. Chaque souvenir correspond à une chanson qui célèbre la liberté d’être et rejette le système oppressif. S’entremêlent alors références anti-trump, antiracisme, afroféminisme, sexualité et amours queer.
On apprend notamment que Jane avait une relation avec Zen (Tessa Thompson) et Ché (Jayson Aaron). Au cours du « nettoyage », Jane retrouve Zen a qui on a lavé le cerveau et qui ne souvient plus d’elle. Zen porte une sorte de voile de nonne futuriste qui rappelle les difficultés de Janelle Monáe a faire son coming-out à sa famille religieuse. [spoiler] Par la suite, alors que Jane semble s’être fait totalement lavé le cerveau, elle retrouve Ché qui s’apprête à subir la même chose. Finalement, Zen, Jane et Ché parviennent à s’enfuir ensemble en faisant un pied de nez au système. [fin spoiler]
Durant une interview, lorsqu’on lui demande qu’est-ce qui a inspiré cet album, Janelle répond : « C’était nous. Les femmes noires. C’était mes frères et sœurs de la communauté LGBTQIA. C’était les immigrants. Les personnes handicapées. C’était nous. Tous les dirty computers autour du monde, c’était mon inspiration. » Plus tard au cours de l’interview elle déclare : « Ce projet n’est pas pour tout le monde, il n’est pas à propos de tout le monde cette fois-ci. J’ai dû décider qui je me sentais à l’aise d’énerver et qui je voulais célébrer. Et j’ai choisi qui je voulais célébrer et c’était les dirty computers. » Elle déclare également ailleurs : « Je veux que les jeunes filles, jeunes garçons, non-binaires, gay, hétéro, personnes queer qui traversent une période difficile à accepter leur sexualité, qui doivent gérer le fait d’être marginalisé-e ou harcelé-e juste parce qu’iels sont elleux-mêmes et uniques sachent que je les vois. Cet album est pour vous. Soyez fier-e-s. » Et précise « je souhaite célébrer toutes les femmes, qu’elles soient nées avec un vagin ou non. » en affirmant ainsi une démarche inclusive.
- Quelques détails depuis ma perspective
Je ne vais pas passer en revue toutes les chansons car c’est bien trop fourni pour que l’on soit exhaustif et différentes choses peuvent toucher différents individus à un niveau personnel. Chacun-e est libre d’apprécier l’œuvre depuis sa propre sensibilité.
Au cours de l’album, Janelle évoque des sujets difficiles, comme la peur d’aimer une femme dans le très touchant « So afraid ». L’hétéronormativité forcée est également présente dans des titres aux sonorités plus légères comme « Take a byte » où elle chante à Zen « ton code est programmé pour ne pas m’aimer, mais tu ne peux pas prétendre ».
Le huitième morceau, « Make me feel », est probablement mon préféré sur l’album. On connaissait déjà ce titre accompagné de son clip avant la sortie de l’album et il avait été qualifié d’hymne bisexuel, mais il prend une ampleur particulière lorsqu’il est replacé dans le contexte global de Dirty computer, notamment lorsqu’on connaît l’histoire de Jane, Zen et Ché. En effet, dans le clip de « Make me feel », Jane s’amuse avec Zen et Ché dans une boite de nuit, et passe le clip à osciller entre les deux. Si avant d’avoir vu Dirty computer au complet on pouvait le prendre comme une façon humoristique de se moquer des clichés sur les bi/pan et de jouer avec les rumeurs autour de l’orientation de Janelle, on se rend compte qu’il s’agit plutôt de célébrer les amours multiples chez les personnes bi/pan. En tant que bi polyamoureux, ce morceau me touche beaucoup, car c’est rare de nous voir représentés positivement dans les médias.
Les paroles ainsi que le clip jouent avec les binarités en faisant ressortir la fluidité et la possibilité d’exister entre les deux : ainsi, Janelle porte une veste avec un côté blanc et un côté noir et chante « c’est comme si j’étais puissante avec un peu de tendresse / une fluidité émotionnelle, sexuelle ».
Janelle célèbre d’ailleurs sa sexualité queer dans la chanson « PYNK » où on la voit danser dans un pantalon rose en forme de vulve – puis la tête de Tessa Thompson s’invite entre ses jambes pour symboliser un clitoris que Janelle caresse.
Le reste du clip est bourré d’imagerie renvoyant au sexe (dont une demi orange qui n’est pas sans rappeler ce compte Instagram où quelqu’un « doigtait » des fruits qui ressemblent à des vulves). Les paroles ne sont pas en reste puisqu’elles sont hautement suggestives : « Rose comme l’intérieur de ta… bébé (…) Rose comme tes doigts dans mon… peut-être ».
Dans « Django Jane », Janelle voulait que l’on « laisse le vagin avoir son monologue », ce qu’il fait sans aucun doute dans « PYNK », mais malgré que cette imagerie qui peut sembler ciscentrée, il est important de relever que deux des danseuses ne portent pas de pantalon en forme de vulve et symbolisent certainement des femmes trans et/ou intersexes.
« Alors regardez comme chaque « pantalon » de femme (vagin) est différent. Et certaines n’ont pas de « pantalon » (vagin) »
Tessa Thompson avait d’ailleurs Tweeté à ce sujet « à toutes les filles noires qui ont besoin d’un monologue qui n’ont pas de vagin, j’écoute. »
En parlant de Tessa Thompson, cadeau, juste parce que j’aime bien faire des captures d’écran aux bons moments :
En conclusion, Dirty computer est donc sans aucun doute une ode anticonformiste et un doigt d’honneur aux systèmes oppressifs. Je pense que c’est également une œuvre qui gagne à être revue et réécoutée car elle est pleine de petits détails et de couches d’analyses différentes, que l’on ne voit pas forcément du premier coup.
Sources :
https://www.youtube.com/watch?v=4tFEugP864o
https://www.usmagazine.com/celebrity-news/news/janelle-monae-comes-out-as-pansexual/
https://www.konbini.com/fr/entertainment-2/janelle-monae-dirty-computer-interview/