Des personnes enceintes qui ne sont pas des femmes?

 Thomas Beatie est un candidat de Secret Story. Je ne m’intéresse pas à cette émission mais j’ai beaucoup entendu parlé de lui ces derniers temps car c’est un homme trans. Son secret, c’est qu’il a été enceint de ses 3 enfants. Ceci a suscité tout un tas de débats en France. Sous des articles sensationnalistes, on peut lire d’une part des commentaires transphobes d’une grande violence ; d’autres part, il y a aussi des personnes bienveillantes s’expriment mais sont très mal informées. J’ai donc pensé qu’il était utile de m’exprimer à ce propos. C’est sans aucun doute un sujet particulièrement important et il est nécessaire d’en parler et d’informer les gens.

 

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Thomas Beatie et un de ses enfants (Source)

 

            Avant d’entrer dans le vif du sujet, il me paraît important d’expliquer quelques notions de bases sur la transidentité si c’est la première fois que vous lisez mon blog.

  •   Identité de genre : notre société est divisée en deux groupes sociaux, les femmes et les hommes. L’identité de genre est donc, très basiquement, le sentiment d’appartenance ou non à un groupe. L’identité de genre n’est donc pas déterminée par l’apparence physique, les organes génitaux, les hormones ou les chromosomes, même si beaucoup de personnes associent à tord le genre et la biologie.
  •   Genre assigné à la naissance : à la naissance, on « classe » le bébé dans le groupe homme ou femme en se basant sur ses organes génitaux apparent. Un bébé possédant une vulve est assigné fille à la naissance et sera elévé comme une fille en supposant que ce sera effectivement son identité. Un bébé possédant un pénis est assigné garçon à la naissance et sera elevé comme un garçon en supposant que ce sera effectivement son identité. Par la suite, l’enfant développera effectivement cette identité – ou pas. Ainsi, il se peut qu’on ait assigné un personne fille à la naissance mais qu’elle n’en soit pas une – et inversement.
  •   Cisgenre (cis) : se dit d’une personne dont le genre correspond effectivement à celui qui lui a été assigné à la naissance (une personne qui n’est donc pas transgenre).
  •   Transgenre (trans) : se dit d’une personne dont le genre ne correspond pas à celui qui lui a été assigné à la naissance. Ce n’est pas une maladie mentale puisque l’identité de genre est sociale et non une caractéristique biologique. Une personne transgenre est son genre, quelque soit son apparence physique.
  •    Homme trans : un homme qui a été assigné fille à la naissance.
  •    Femme trans : une femme qui a été assignée garçon à la naissance.
  •   Non-binaire : se dit d’une personne dont le genre n’est ni homme, ni femme. En effet, il existe plus que deux genres, car comme je l’ai dit précédemment, le genre est social. On peut par exemple avoir un genre neutre ou ne pas avoir de genre.

Si vous voulez plus de détails, ce blog regorge de ressources à ce sujet. A présent, revenons à notre histoire de grossesse.

 

  1. Il n’y a pas que les femmes qui peuvent être enceintes

 

La première chose, c’est que toutes les femmes cis (femmes assignées femmes à la naissance) ne peuvent pas tomber enceintes. Certaines ont même fait le choix de se faire stériliser. D’autres encore, peuvent tomber enceintes mais ne le souhaitent pas. Donc déjà, même sans introduire la transidentité dans le débat, définir une femme par la capacité à être enceinte est incorrect et réducteur. De plus, il existe des femmes trans, c’est à dire des femmes qui ont été assignées hommes à la naissance et qui ne peuvent donc pas tomber enceintes.

Deuxièmement, comme on l’a vu dans les définitions juste au dessus, il n’y a pas que les femmes qui ont une vulve, un vagin, un utérus et des ovaires fonctionnels. En effet, certains hommes trans ont aussi ces organes reproducteurs fonctionnels. Certaines personnes non-binaires ont également ces organes reproducteurs fonctionnels. Cela veut dire que toute personne possédant ces organes reproducteurs fonctionnels est capable de tomber enceinte, quelque soit son genre.

En résumé, il n’y a pas que certaines femmes qui peuvent être enceintes mais certains hommes trans et certaines personnes non-binaires aussi.

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Source : BD Assignée garçon

 

  1. La remise en question difficile des normes sociales

 

Entre ceuxe qui s’écrient avec épouvante « Mais quelle horreur ! » et ceuxe qui s’empressent de rappeler que c’est « contre-nature », j’ai lu pas mal de choses transphobes assez violentes ces derniers temps. Comme je l’ai expliqué juste avant, il n’y a rien de « contre-nature » ni « d’horrible » dans le fait qu’un homme trans ait été enceint. La biologie reproductrice est une chose, le genre en est une autre. L’identité sociale d’une personne, autrement dit son genre, n’a rien à voir avec le fait d’avoir un vagin ou un pénis et la façon dont fonctionne son corps. Si vous trouvez cela « contre-nature » ou « horrible », soit vous n’avez bien pas compris la différence entre genre et organes reproducteurs, soit vous n’arrivez pas à remettre en question les normes sociales qui vous disent qu’un homme ne pourrait pas être enceint.

On voit bien dans ce genre de commentaire que remettre en question le modèle social hétéro-cis-normatif (c’est à dire reposant sur une norme hétéro et cisgenre) est très difficile voire impensable pour ces gens. La société nous a constamment bourré le crâne avec ce modèle hétéro-cis-normatif, pas étonnant que ça pique autant quand on est confronté à autre chose.

Je lis beaucoup de commentaire sur le bien-être de l’enfant. Si l’enfant est elevé par un père aimant, quel est le problème qu’il soit trans ? « Mais comment va-t-on expliquer à son enfant que c’est son père qui a été enceint de lui ??? ». En lui expliquant justement. Sachez que les jeunes enfants n’ont pas encore intériorisés le modèle hétéro-cis-normatif et que si on leur explique tranquillement, en mettant le message à leur portée, ça ne les choque pas ! En fait vous posez la question à l’envers. La question à se poser est plutôt : comment va-t-on expliquer cela aux adultes, qui eux ont intériorisés le modèle hétéro-cis-normatif ? Et les adultes, c’est vous, qui commentez et qui lisez cet article. Et bien, vous expliquer c’est justement ce que je suis en train de faire donc ça tombe bien !

 

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Source : BD Assignée garçon

 

La société évolue et les gens sont de mieux en mieux informés au sujet de la transidentité ce qui veut dire que ces enfants et les futurs enfants grandiront dans une société plus inclusives des identités de leur parents. En parler et sensibiliser les gens tend à rendre visible et normaliser les personnes trans et leurs expériences de vie, donc à améliorer leurs conditions de vie encore précaires aujourd’hui à cause de la transphobie. Les enfants de parents trans existent et existeront donc participez à informer les autres afin que la société soit plus inclusive.

 

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Dans la BD Assignée garçon

Loïc est un homme trans gay en couple avec un homme cis et ils font un bébé ensemble 🙂

 

  1. La misogynie sous-jacente à la transphobie

 

J’ai lu plusieurs fois « s’il voulait être enceint, il n’avait qu’à rester une femme, mais vouloir être les deux, ça n’a pas de sens ! ».

Déjà, il y a plusieurs erreurs basiques : 1. On ne choisit pas son genre, donc l’emploi de « vouloir être » est incorrect 2. Une personne est son genre quelque soit ses organes génitaux et son apparence et une personne trans est donc son genre avant de transitionner, étant donné que le genre n’est pas physique ; ainsi « rester une femme » est incorrect car un homme trans n’a jamais été une femme. 3. Etre un homme enceint ne fait pas de Thomas Beatie à la fois un homme et une femme. Il y a effectivement des personnes qui sont à la fois homme et femme, ce sont des personnes bigenres. Cette identité bigenre fait partie des genres dits non-binaires. Or Thomas Beatie est un homme trans, il n’est pas bigenre homme+femme. Je me répète : le genre n’est pas biologique, donc tomber enceinte ne remet pas en question le genre de la personne. Si c’est un homme, c’est un homme, indépendamment de ce qu’il fait de son corps. Je vais prendre une analogie qui va vous paraître absurde, mais pourtant je vous assure que c’est pareil : si une femme cis décide de se faire stériliser car elle ne veut pas tomber enceinte, elle est toujours une femme, indépendamment de ce qu’elle a fait avec son corps. Un homme trans enceint est toujours un homme, indépendamment de ce qu’il fait avec son corps. Je voudrais que cela soit bien clair pour vous.

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Source

 

Par ailleurs, le fait de considérer que tomber enceinte se rapporte forcément au fait d’être une femme est misogyne. Je m’explique : dire qu’être enceint fait de lui une femme sous-entend qu’une femme est définie par la grossesse. Ca c’était la version raffinée, mais pour vous le dire plus cruement, c’est considérer que les femmes sont des incubateurs sur pattes. Je sais que beaucoup d’entre-vous n’ont pas l’intention réelle de dire ça mais c’est pourtant ce que vous dites, je vous assure. La femme a été vue comme un objet sexuel et un incubateur sur pattes dans cette société patriarcale depuis des siècles et cela continue encore aujourd’hui. On a tous-tes intériorisés un certains nombre de messages misogynes, comme par exemple l’idée qu’une femme voudrait de part sa nature forcément porter un enfant, ce qui est très essentialiste. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui les femmes et personnes perçues comme femme (ce qui inclut entre autre des personnes non-binaires et des hommes trans) rencontre d’innombrables obstacles si elles veulent se faire stériliser. Elles sont traitées de manière aberrante. Je vous mets ci-dessous l’extrait d’une BD sur la stérilisation volontaire qui développe ces aspects, de l’artiste Laurier The Fox. La BD complète est à lire sur :  http://fibres-noires.blogspot.fr/2016/06/la-sterilisation-volontaire-en-bd-nos.html

 

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*DFAB = désigné-e fille à la naissance

 

Quand je dis que la société patriarcale considère la femme comme étant définie par la grossesse, je n’exagère pas, ces messages sont encore bel et bien présents et tenaces. Un des chevaux de bataille du féminisme est justement que l’on arrête de définir la femme par ses organes reproducteurs et que les femmes soient libres de leurs choix par rapport à leur corps. Donc quand vous dites qu’une personne enceinte est forcément une femme, ou « une femme à la base », ou « à la fois une femme et un homme » alors qu’il s’agit très clairement d’un HOMME trans, c’est un message particulièrement misogyne sur ce qu’est une femme que vous avez interiorisé et que vous reproduisez inconsciemment.

Nous avons donc ici un très bon exemple de comment la transphobie alimente la misogynie.

 

Conclusion

   Je suis très heureuxe que l’on parle de ces sujets, c’est très important et c’est l’occasion d’informer plus de gens. Ce matin, j’ai par exemple découvert un article du Baby blog, très respectueux. C’est ce genre de choses qui redonnent le sourire.

  Les personnes trans ont besoin d’être visibles et entendues pour que leurs droits humains fondamentaux soient enfin respectés. Alors partagez cet article, s’il vous plait. Pas pour moi, mais pour toutes les personnes trans d’aujourd’hui et de demain.

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3 commentaires sur “Des personnes enceintes qui ne sont pas des femmes?

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