La place des personnes assignées femmes dans le féminisme

(Avertissement : mention d’oppressions dont transphobie, misogynie et transmisogynie)

C’est loin d’être la première fois que je vois la place des hommes trans dans le mouvement féministe remis en question. C’est de ce constat que je pars pour écrire cet article et en me posant les questions suivantes : quels sont les arguments des personnes qui souhaitent les exclure du féminisme et pourquoi ces arguments ne sont-ils pas valable ? Sur le chemin de ma réflexion, je développerai plusieurs points examinant la place des personnes trans assignées femmes à la naissance dans le féminisme.

 

1.    Argument 1 : Ce ne sont pas des femmes, ils ne sont par conséquent pas concernés.

       Contre-argument 1 : Toute personne subissant le sexisme est concernée.

 

Le mouvement féministe a effectivement été amorcé pour les femmes (d’où son nom) afin de lutter contre le patriarcat dont découle sexisme et misogynie. Cependant, toute personne subissant le sexisme est oppressée sur cet axe et est par conséquent concernée. Les personnes trans assignées femmes à la naissance sont lues comme des femmes par la société et traitées comme telles durant de nombreuses années de leur vie, voire toute leur vie.

Effectivement, les personnes qui prendront de la testostérone seront lues comme des hommes et ne seront plus victime du sexisme direct. Mais ce sexisme, iels l’auront subi auparavant. Donc même si ces personnes trans ne sont plus directement concernées, elles ont été touchées, savent de quoi elles parlent et ont leur mot à dire.

Vous allez me dire : mais alors un homme trans qui a grandit dans son genre car il a fait son coming out très jeune et a été accepté pleinement par sa famille ? C’est un cas plus complexe mais on peut considérer les éléments suivants : premièrement, il y aura toujours des gens transphobes pour décider de le considérer comme une fille et auront des comportements sexistes avec lui et deuxièmement, les parents traitent différemment les bébés afab et amab alors qu’iels ne sont pas encore nés ! Les parents laissent pleurer les bébés amab plus longtemps que les bébés afab, etc. L’hétéro-cis-patriarcat n’épargne pas les jeunes enfants (cf. ces planches d’Assignée garçon : iciici) .

 

2.    Argument 2 : Mais les hommes trans ont des privilèges masculins.

       Contre-argument 2 : Pas forcément ; de plus, c’est conditionnel et relatif.

 

            Déjà, dire que les hommes trans ont des privilèges masculins, c’est laisser de côté tous les hommes trans qui ne passent pas pour des hommes cis et impliquer que tout le monde transitionne de façon standard alors que les parcours sont divers (ce qui au passage consacre les standards de beauté cis comme but ultime à atteindre).

            Maintenant, si on prend le cas d’un homme trans qui a un « passing » d’homme cis : il y a effectivement de nombreux témoignages de la part d’hommes trans qui expliquent comment le regard des gens et la façon dont ils sont traités a changé depuis qu’ils sont lus comme des hommes par la société (liens ci-dessous). Mais il faut prendre en compte que ce « passing », ils ne l’ont probablement pas eu pendant des années auparavant et n’avaient donc pas les dits privilèges. De plus, ces privilèges masculins sont conditionnels. Par exemple, si un homme trans est outé de force et que des personnes transphobes disent alors que ce n’est pas un « vrai homme » et le traitent mal. Ou alors si cet homme est enceint. Là encore, on pourra dire que c’est pas un « vrai homme », etc. D’ailleurs, Sawyer Devuyst dit : « Une fois que les gens savent que tu es trans, ils te traient différemment. Ils sont plus doux avec moi. Ils pensent que je ne suis pas agressif, parce que je n’ai pas de pénis. Ils me traitent comme si je n’étais pas un homme parce que je n’ai pas cette anatomie et c’est de la merde. […] Il y a une partie de moi en tant que personne blanche transmasculine où je sens que je ne devrais pas m’exprimer. Parce que les hommes cis blancs prennent TELLEMENT d’espace – tellement d’espace physique, tellement d’espace émotionnel, tellement d’espace mental – que je sens que je n’ai pas le droit d’avoir une voix. Et c’est dur parce que pré-transition, pré-coming-out en tant qu’homme trans, j’ai vécu comme une femme cisgenre et on te dit aussi que tu ne devrais pas t’exprimer et que tu n’as pas de voix, donc des deux côtés de ma transition, je ne suis pas sûr de savoir si j’ai une voix. » (source)

 

3.    Argument 3 : Etre un homme implique d’être sexiste donc les hommes trans aussi.

      Contre-argument 3 : Ce n’est pas le genre homme en lui-même qui rend sexiste mais la socialisation en tant que mec cis en contexte patriarcal.

 

Ce troisième argument est carrément essentialiste, c’est à dire qu’il implique que le genre homme rend sexiste par essence, que le genre homme est intrinsèquement sexiste et que cela est naturel. C’est un discours faux et dangereux. Déjà parce que cela établit le patriarcat comme un ordre naturel (puisque ça implique que les hommes – cis et trans – sont  naturellement sexistes). Ensuite parce que ça efface complètement l’influence de la socialisation des hommes trans dans leur rapport au sexisme et les place sur le même plan que les hommes cis en les assimilant aux oppresseurs.

Les hommes cis sont problématiques, pas parce que ce sont des hommes mais parce que ce sont des hommes cis socialisés dans un contexte cis-patriarcal dans lequel ils ont été conditionnés pour reproduire des comportements sexistes. D’ailleurs, tout le monde a été conditionné pour avoir une pensée sexiste, y compris les femmes mais la différence tient dans le fait que les uns sont du côté privilégié et les autres du côté opprimé. Les personnes qui sont privilégiées et ne subissent pas l’oppression ne se rendent pas compte que leur comportement est problématique 99% du temps et la déconstruction des comportements oppressifs et de la pensée normative va être beaucoup plus compliquée. En effet, les hommes cis ont toujours appris à prendre de la place dans les conversations, la société a toujours validé leur opinion contre celle des autres et les a toujours confortés dans leurs privilèges. Donc accepter des hommes cis dans les espaces féministes c’est littéralement leur laisser le pouvoir puisque même avec les meilleures intentions du monde, ils vont instinctivement prendre plus d’espace sans laisser les opprimé-e-s s’exprimer et avoir des opinions non-déconstruites. Autrement dit, c’est reproduire les rapports de force patriarcaux au sein des milieux féministes, alors que c’est ce qu’on cherche à combattre. La lutte doit donc émaner des personnes opprimé-e-s. En ce sens, les hommes cis n’ont pas leur place dans le féminisme ; en revanche, ils peuvent être des alliés et soutenir le mouvement ! Attention, je ne suis pas en train de dire que les hommes cis c’est le diable, je dis juste qu’apprendre à écouter et à se remettre en question être carrément plus dur pour eux et qu’ils sont donc 99% du temps problématiques. Mais je m’égare du sujet principal de cet article ! ^^

Pour en revenir aux hommes trans, n’ayant pas été élevés comme des hommes cis en contexte patriarcal, ils n’ont pas été conditionnés pour avoir tout ces comportements oppressifs et n’ont pas été confortés dans des privilèges masculins. Donc quand bien même ils auraient obtenu ces privilèges masculins en cours de transition (tout relatifs soient-ils), ils ne sont pas du tout problématiques au même titre que les hommes cis (puisque même s’ils ont beau profiter de ces privilèges masculins ensuite, les comportements oppressifs qui vont avec n’ont pas été internalisés comme pour les hommes cis).

Alors oui, évidemment il y a des hommes trans misogynes et ayant intériorisé de la masculinité toxique car comme je le disais, toute personne vivant dans cette société a internalisé de la misogynie et doit la déconstruire. Mais ce n’est pas la totalité des hommes trans et pas une raison pour les exclure en bloc des espaces féministes alors qu’ils sont concernés. Il y a aussi des femmes cis ayant internalisé de la misogynie. Pourtant on ne semble pas remettre en question leur place dans le féminisme en tant que concernées…

Je dois ajouter que l’argument essentialiste « t’es un homme donc t’es sexiste par essence » efface totalement de la discussion les personnes non-binaires dont le genre est masculin d’une quelconque manière. Une personne bigenre (homme et femme) est-elle intrinsèquement sexiste et à virer des espaces féministes parce qu’elle est aussi un homme ? Une personne demi-homme est-elle à demi-sexiste et doit donc fermer à demi sa gueule sur le sujet du féminisme ?  Suis-je exclu des espaces féministes seulement les jours du mois où mon genre est partiellement masculin parce que oups, magie !, je me suis transformé en oppresseur ? On voit bien ici que l’argument essentialiste n’a aucun sens.

 

4.    L’argument de la socialisation masculine ne marche pas. 

 

A ce stade, je voudrais faire un petit aparté sur l’argument de la « socialisation masculine » souvent employé par les TERF (féministes transphobes). Cet argument dit que : « puisque les femmes trans ont été socialisées comme des hommes et ont profité des privilèges masculins, alors elles ne sont pas concernées par le sexisme et sont exclues des espaces féministes ». D’ailleurs, si on lit mon paragraphe précédent, on peut avoir l’impression que je soutiens cet argument. Alors que pas du tout. D’où l’importance de faire un aparté sur ce sujet.

Voyez-vous, ce n’est pas la même chose d’avoir été assigné-e du côté opprimé que du côté oppresseur. Donc si l’argument de la socialisation marche dans un sens expliquant ainsi que les hommes trans ne sont pas à mettre sur le même plan que les hommes cis, et bien cet argument ne marche tout simplement pas dans l’autre sens et on ne peut pas mettre les femmes trans sur le même plan que les hommes cis non plus.

Je m’explique par une analogie (simpliste mais qui permet de comprendre) : si vous mettez un loup chez les moutons, le loup n’apprendra pas à manger les moutons puisque les autres loups ne lui ont pas montré. En revanche, si vous mettez un mouton chez les loups, le mouton se fera bouffer…

Si vous pouvez lire l’anglais, je vous invite à consulter cet article, écrit par une personne concernée, qui développe ce sujet et à quel point le terme de « socialisation masculine » appliqué aux personnes trans amab est problématique et à ne pas employer : « Socialization arguments are transmisogyny« 

 

NB : A propos de la socialisation, je dois aussi préciser une chose à propos des afab : on peut dire qu’iels n’ont pas été socialisé-e-s comme des hommes cis ; en revanche, dire qu’iels ont été socialisé-e-s comme des femmes cis est problématique. Je ne vais pas développer ce point ici car ce serait un peu partir dans tous les sens mais j’en reparle dans l’article « J »ai été socialisé comme non-binaire ».  

Conclusion : le terme socialisation reste à utiliser avec des pincettes…

 

5.    Et la transmisogynie dans tout ça ?

 

Donc si vous avez bien suivi jusque là, je dis que les hommes trans subissent aussi la misogynie. Ils subissent aussi bien évidemment la transphobie. Et là vous allez peut-être me dire : attend, du coup ils subissent la transmisogynie, ce fameux croisement d’oppression dont on entend souvent parler ? Alors non. Seules les personnes transféminines subissent la transmisogynie.

Déjà, qu’est-ce qu’un croisement d’oppression ? C’est le fait de subir plusieurs oppressions en même temps qui vont par conséquent s’accumuler et interagir entre elles et cela va faire naître une situation spécifique. Ainsi, une femme lesbienne subira à la fois la misogynie et l’homophobie, ce qui crée une oppression spécifique que l’on appelle la lesbophobie. Si la misogynie est jaune et l’homophobie est bleue alors une femme lesbienne subit à la fois une oppression jaune et une oppression bleue mais aussi une oppression verte née du mélange du jaune et du bleu. Cela s’écrirait mathématiquement :

Lesbophobie = misogynie + homophobie + misogynie*homophobie

où « misogynie*homophobie » est un terme d’interaction entre les deux oppressions (le vert).

 

Mettons cela en pratique avec les personnes trans et la misogynie. On a donc pour les personnes transmasculines :

misogynie + transphobie + (misogynie*transphobie)transmasculine

 

Pour les personnes transféminines, on a la même équation mais le terme d’interaction (le vert) entre les deux oppressions est différent (je vais expliquer pourquoi) :

misogynie + transphobie + (misogynie*transphobie)transféminine

 

On observe que :

(misogynie*transphobie)transmasculine ≠ (misogynie*transphobie)transféminine

 

En effet, le terme d’interaction pour les personnes transféminines agit différemment. Cela est dû au système patriarcal. Il est plus dévalorisé de « vouloir être une femme » que de « vouloir être un homme » (cela est dit dans des termes particulièrement transphobes mais je traduis la façon dont la société se le représente). De fait, l’oppression allant à l’encontre des femmes trans est particulièrement violente. Les femmes trans sont les plus touchées par les meurtres… Il est très important de reconnaître que l’interaction entre misogynie et transphobie touchant les personnes transféminine est un problème spécifique qui nécessite des actions militantes dédiées. C’est pourquoi on a donné un nom au croisement d’oppression. Cela permet de lui donner une existence politique, de créer des espaces où les personnes concernées peuvent s’exprimer à ce sujet, etc. On ne peut pas lutter sans mots. Ainsi :

 transmisogynie = misogynie + transphobie + (misogynie*transphobie)transféminine

 

En conclusion :

«  les personnes transmasculines subissent la misogynie et la transphobie » ≠ «  les personnes transféminines subissent la transmisogynie ».

 

Il est important de reconnaître la transmisogynie comme une oppression spécifique aux personnes transféminines pour mieux combattre cette oppression.

 

 

Conclusion générale : toute personne concernée par le sexisme a sa place dans les espaces féministes non-mixtes (femmes cis et trans, personnes non-binaires amab et afab, hommes trans et personnes intersexes). En revanche, je tiens à préciser qu’il est important de ne pas mégenrer les personnes en appelant l’événement par un titre qui sous entend qu’il n’y aura que des femmes.

Autres articles sur le sujet :

L’aliénation, la mysoginie intériorisée et les féministes cis (Furie Gélatine)

Non-mixité, je serai non-mixte en non-mixité cis (Les couaqs de Nooth)

Vidéos :

Chase Ross : male privilege how to navigate a world you weren’t socialized in

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