Heartbreak high : une représentation mitigée ?

Le reboot 2022 d’Heartbreak High suit un groupe de lycéen-nes Australien-nes âgés de 16 ans. Le personnage principal est Amerie, une fille plutôt populaire, meilleure amie avec Harper. Toutes deux ont cartographié les relations sexuelles entre différents ado du lycée. Au début de la saison 1, Harper est en froid pour raison mystérieuse avec Amerie et cette fameuse carte est révélée au grand jour, causant un scandale dans le lycée. Au vu des comportements peu sécuritaires des élèves en matière de sexualité affichés sur cette carte et pour maintenir la réputation de l’établissement, la principale décide que les concernés devront suivre un cours d’éducation sexuelle. Des thématiques intéressantes sont abordées à cette occasion : le sexe safe, le consentement, les IST… Amerie, elle, perd sa popularité et se retrouve à traîner avec Darren et Quinni qui sont tous-tes les deux assez marginales.

Amerie, Darren et Quinni

Quinni est un personnage autiste, incarné par l’excellente Chloe Hayden, elle-même autiste et militante sur le sujet. Elle a beaucoup participé à l’écriture de son personnage, au point de pratiquement se jouer elle-même. C’est la première représentation aussi juste de l’autisme que je vois, jouée par une personne concernée. Il n’y a rien à redire, c’est tout bonnement révolutionnaire. C’est juste, c’est nuancé. Dans l’épisode 2 [spoilers], alors qu’elle a rendez-vous au restaurant avec Sasha (elle est aussi lesbienne), on assiste à la surcharge sensorielle qu’elle subit et qui l’empêche de profiter de la soirée. Puis, toutes deux vont à une soirée et Quinni se réfugie dans la salle de bain avec Darren qui gère son meltdown de façon très juste. Darren la fait respirer, dit à Amerie de ne pas la toucher, la maintient au calme, jusqu’à ce que la tempête passe et que Quinni soit prête à retourner à la soirée. Sasha la confronte, en l’accusant de ne pas lui avoir montré le moindre intérêt durant le diner (alors qu’elle était juste en surcharge), suite à quoi Quinni fait son coming-out autiste. Sasha se montre assez ignorante sur le sujet avec une réponse des plus banales : « Je connais des personnes autistes qui ne sont pas comme toi. » C’est là que Chloe Hayden lance une réplique qu’elle a elle-même écrite et qui est, on peut le dire, dores et déjà assez culte : « Okay Sia » (en référence à son très mauvais film sur l’autisme « Music »). L’épisode 6  [spoilers] dédié à Quinni est lui aussi excellent : il met en scène une journée où elle doit se rendre à une dédicace d’un livre qui fait partie de ses intérêts spécifiques. Elle a planifié scrupuleusement son trajet pour être à l’heure, mais Sasha ne l’entend pas de cette oreille et bouscule ce qui était prévu. On voit comment toutes les petites modifications successive de plans font monter petit à petit l’anxiété de Quinni jusqu’au trop plein. Sasha est assez insensible, l’out auprès d’une amie à elle, s’en fout de la dédicace et ne pense qu’à faire la fête. Elle se plaint que l’autisme de Quinni est « trop lourd » et qu’elle veut juste faire des trucs d’ado « normale » avec sa copine. Suite à cet altercation, Quinni passe l’épisode 7 à être non-verbale. L’incompatibilité de Quinni et Sasha en terme de besoins et d’envies est réaliste. Le comportement de Sasha à l’égard de Quinni l’est aussi. Ca fait mal au cœur, mais c’est très bien mené et traduit le quotidien de beaucoup de personnes autistes avec justesse. [fin spoilers]

Sasha et Quinni dans le bus, Quinni porte un casque anti-bruit.

La relation amicale qu’elle a avec Darren, qui la soutient, est aussi très belle. Malgré les défauts d’écriture vis-à-vis de Darren (j’y reviendrai), c’est une force du personnage au contraire.

La série comporte également de nombreux personnages racisés. Elle traite de questions en rapport avec le racisme, en représentant notamment les violences policières envers les aborigènes. Cela m’a semblé plutôt bien fait, même si je n’ai pas un recul suffisant sur le sujet.

Question représentation LGBT+, c’est là que ça se gâte un poil. C’est mi-figue, mi-raisin. Il y a de nombreux personnages gays et lesbiennes, de toutes les générations (y compris chez les parents et grands-parents des personnages). Il y a des intersections intéressantes avec notamment le personnage autiste et lesbienne. En revanche, je trouve cela surprenant qu’il n’y ait pas un seul personnage explicitement bisexuel. Ca semblait très facile à caser. Peut-être en saison 2, espérons-le !

Mais là où je suis vraiment le plus mitigé, c’est concernant le personnage de Darren. C’est une personne non-binaire, assignée garçon, qui utilise des pronoms neutres (they en anglais, iel en français – et c’est bien sous-titré, merci Netflix). L’actaire est iel-même non-binaire et utilise le neutre, donc très bon point. En revanche, je reste sur ma faim car aucune thématique réellement spécifique à la non-binarité n’est abordée. Hormis deux scènes sur la question de ses pronoms, où ses parents s’emmêlent les pinceaux et se plaignent. Sinon, tout son arc narratif aurait été exactement le même s’il avait été un homme cis gay féminin. D’ailleurs, iel s’identifie gay et sort avec des hommes gays. C’est pourtant une série qui parle de relations et sexualité entre ado, c’était le bon endroit pour aborder des questions de perceptions par autrui, image corporelle, dysphorie de genre, transition sociale (au-delà des pronoms) et/ou médicale, etc. La dysphorie non-binaire est très peu représentée et comprise par le grand public, c’était l’occasion. Peut-être en saison 2 encore une fois…

Le personnage m’a également semblé relativement hypersexualisé, et cette façon de l’écrire me laisse très mitigé. Pourtant, on parle d’une bande d’ado avec les hormones en ébullition qui pensent beaucoup au sexe, mais ce personnage m’a paru plus sexualisé en comparaison avec les autres. Il y a plusieurs plans où on voit ses fesses nues, iel se montre parfois très vulgaire, etc. Il y a une scène en particulier où iel se frotte contre le mur de façon obscène en lisant à voix haute un passage du manuscrit de son père (qui ne l’a pas autorisé à le lire) à ses amies. Puis, lorsque son père lui dit « Est-ce que je prends tes affaires moi ? » en soulevant une pochette qui traine là, iel répond « Non mais ça c’est parce que c’est ma poire à lavement. » Cette scène est totalement gratuite et les mêmes thématiques relationnelles avec son père auraient pu être traitées avec bien plus de subtilité. On apprend vers la fin de la saison que son comportement est dû à une peur de ne pas être aimé et un manque d’estime de soi. Ce n’est pas forcément incohérent, mais casse-gueule de choisir cet arc narratif pour le seul personnage non-binaire au milieu d’un océan de non-représentations et de mauvaises représentations de la non-binarité… C’est très délicat et discutable comme choix, à mon sens. Je vais peut-être paraître un peu sévère mais dans certaines scènes, on a presque l’impression qu’iels ont écrit une caricature hypersexualisée de mec gay fem, mais comme iels ont collé l’étiquette non-binaire, ça va, c’est inclusif, on s’en tire avec tout et n’importe quoi.

Venons-en d’ailleurs à la relation que Darren a avec Cash, et je pense que l’hypersexualisation du personnage non-binaire préparait précisément le terrain au dénouement de cette relation (mais cela aurait pu être mené de façon plus subtile et moins casse-gueule). [spoilers] Cash ne veut manifestement pas aller plus loin que s’embrasser. Ces évènements se passent le soir même de leur premier baiser puis la semaine suivante. Cela n’a donc rien de choquant de vouloir attendre en soi. Darren le prend très mal et insiste un peu trop lourdement à mon goût, persuadé que Cash n’assume pas sa sexualité, a peur… (quand bien même ç’aurait été cela, ce n’est pas une raison). Au final, Cash explique ne pas avoir envie de sexe, jamais. Il est asexuel (mais le mot n’est pas dit). Sa scène de coming-out est finalement plutôt bien faite et rattrape un peu le coup ! Darren lui sort toutes les banalités que les asexuel-les se prennent dans la tronche : c’était peut-être pas avec la bonne personne, et si on essaye autrement, etc. Finalement, iel accepte la situation et iels choisissent de rester ami-e-s.

C’est une scène plutôt nuancée, qui représente encore une fois les besoins conflictuels possibles et l’incompatibilité dans le couple. [fin spoilers]

Concernant la représentation de l’asexualité en tant que telle, elle est plutôt bonne. En revanche, ça me pose un gros problème que les deux seuls personnages qui ne veulent pas coucher le premier soir soient autiste ou asexuel, comme si la normalité de l’ado de 16 ans c’était de s’envoyer en l’air au bout de 5 secondes, et que si ce n’est pas le cas, c’est qu’il doit y avoir une raison plus « profonde ». Ça donne une image faussée du quotidien de beaucoup d’ado et ça peut créer une pression inutile à travers une représentation médiatique erronée, voire conduire certain-e-s à se penser asexuel-les alors qu’iels ont peut-être « juste » pas une libido aussi exacerbée ou sont des « late bloomers ».  

En bref, au-delà des identités plus classiques gay/lesbienne, la représentation LGBT+ ne casse pas non plus la baraque malgré une apparence très inclusive à première vue. Je salue tout de même la présence d’un personnage non-binaire joué par an actaire non-binaire et la présence d’un personnage asexuel, mais j’attends mieux de la saison 2 sur ces thématiques ! La suite reste malgré tout prometteuse, et c’est déjà top que les ado d’aujourd’hui puissent voir une série avec de la diversité sur plusieurs plans, des discussions sur le consentement, etc.

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