La dépersonnalisation : un symptôme de la dysphorie de genre ?

Parlons de la dépersonnalisation-déréalisation (dpdr) et de son lien, ou pas, avec la dysphorie de genre.

La dépersonnalisation est le fait de se sentir détaché de soi-même, de son fonctionnement mental, de son corps, d’avoir le sentiment de ne pas être soi-même et/ou de ne pas se reconnaitre dans le miroir. La déréalisation est le fait de se sentir détaché du monde, celui-ci peut apparaître étrange, comme dans un rêve, les perceptions sensorielles peuvent être modifiées (lumières ternes ou au contraire trop vives, etc.) La dpdr sont des symptômes dissociatifs. La dissociation est un mécanisme normal de défense du cerveau, lorsque le phénomène est ponctuel et peu intense. Tout le monde a déjà expérimenté le fait de ne pas se souvenir d’un chemin connu emprunté au quotidien parce qu’on était perdu dans ses pensées, ou bien le fait de ne pas se sentir tout à fait soi-même en cas de gros coup de stress. En revanche, la dissociation devient pathologique lorsqu’elle adopte un caractère chronique et sévère, en réaction à des stress intenses et/ou à des traumatismes. Les symptômes dissociatifs, et en particulier la dpdr, sont courants dans la majorité des troubles psy, comme par exemple les troubles anxieux, les troubles de l’humeur, le trouble de la personnalité borderline, la schizophrénie, le trouble du stress post-traumatique, etc. Ils peuvent aussi être considéré comme un trouble en tant que tel, lorsque les symptômes ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble. On parlera alors de troubles dissociatifs, qui sont une grande catégorie, et plus précisément de trouble de la déréalisation-dépersonnalisation (puisqu’ici on ne s’attardera que sur ce type de symptômes là et pas sur les autres troubles dissociatifs existant).  

La dysphorie de genre comporte elle aussi des symptômes dissociatifs, peu connus du grand public, et que les personnes trans elles-mêmes ne rattachent pas forcément consciemment à leur dysphorie (et parfois, elles n’identifient pas non plus leur propre dysphorie à cause de ça). Les symptômes de dépersonnalisation en lien avec le corps semblent plutôt évidents comme ayant un lien avec la transidentité une fois qu’on le sait (avoir l’impression d’être détaché de son corps, ne pas se reconnaître dans le miroir). Mais certains symptômes sont moins facilement liés à la dysphorie de genre, comme la déréalisation. Une étude (Kersting et. al, 2003) a montré que les taux de dissociation des personnes trans sont plus élevés que la population générale et sont en particulier dus à une question du DES (dissociative evaluation scale) : « certaines personnes ont l’impression que leur corps ou des parties de leur corps ne leur appartiennent pas ». Diverses études ont montré que les symptômes dissociatifs des personnes trans s’amenuisent grâce au parcours de transition (voir : Depersonalization in gender dysphoria: widespread and widely unrecognized | by Zinnia Jones | Medium).

En revanche, comme je l’ai signalé au-dessus, la dpdr n’est pas spécifique à la dysphorie de genre et se retrouve dans plein de troubles. Ces symptômes ne sont donc pas suffisants pour conclure à une dysphorie de genre, si le mécanisme sous-jacent n’est pas analysé. Une personne souffrant de dpdr lié à un trouble de stress post-traumatique mais qui n’a pas de dysphorie de genre, ne bénéficiera pas d’une transition. Ses symptômes seront soulagés en traitant ses traumatismes (il existe en effet des protocoles thérapeutiques permettant de guérir de ses traumatismes, par exemple l’EMDR). C’est aussi bien sûr possible de combiner les deux, être trans ET avoir des traumatismes, et c’est donc l’ensemble des deux qu’il faudra prendre en charge pour aider la personne. Dépister de façon plus systématique les personnes transgenres pour les troubles d’origine traumatique serait, à mon sens, une bonne idée (il existe par exemple des questionnaires standardisés qui permettent de dépister en première intention).

Dans les récits de personnes qui détransitionnent, c’est souvent cette étape qui a été loupée, selon les témoignages qu’elles rapportent. Une étude a interrogé 100 personnes ayant détransitionné et 38% d’entre elles ont déclaré que c’était parce qu’elles avaient compris que leur dysphorie de genre étaient en réalité causé par autre chose comme un traumatisme, avoir subi des abus, ou un autre trouble psy.

Individuals Treated for Gender Dysphoria with Medical and/or Surgical Transition Who Subsequently Detransitioned: A Survey of 100 Detransitioners | SpringerLink

Rappelons tout de même qu’une étude de 2019 sur des données de 2016/2017 a trouvé des taux de détransition négligeables : 0,47% (et une partie de ces détransitions sont dues aux discriminations vécues et non au fait que la personne n’est pas trans). (Davies et. al, 2019) Reste à savoir si ces taux sont toujours vrais six ans après, considérant que les protocoles de prise en charge se sont aujourd’hui largement assouplis – avec parfois un seul rendez-vous avec un psy pour qu’un-e mineur-e obtienne des hormones par exemple (alors qu’avant les protocoles étaient beaucoup trop rigides, mais c’est surtout un juste milieu qu’il faudrait trouver).

(30) Let’s Talk About Detransitioning – YouTube

En conclusion, si vous avez des symptômes de dpdr non expliqués, cela peut être un signe de dysphorie de genre, mais à l’inverse, la dpdr peut faire trop vite penser à une dysphorie de genre alors qu’elle est liée à un autre trouble pour lequel la prise en charge sera totalement différente.

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8 commentaires sur “La dépersonnalisation : un symptôme de la dysphorie de genre ?

  1. Salut
    Je lis depuis un moment ton blog parce qu’il est bien fait et traite avec beaucoup d’objectivité le sujet des identités de genre et aussi je m’interroge parfois si je ne suis pas trans en plus d’être homosexuel.
    Ce dernier article m’interpelle beaucoup.
    En fait j’ai fait beaucoup de drpr quand j’étais ado et adulte suite à des traumatismes durant l’enfance (sans lien avec une dysphorie de genre et avec une problématique lgbt ).
    Ces troubles de drpr ont beaucoup diminué suite à une thérapie EMDR étalée sur 7 ans.
    Mais à l’époque je ne m’identifiais pas du tout lgbtq et à l’issue de cette thérapie je m’identifiais hétéro cisgenre.
    Avant d’envisager que je puisse être lgbtq, il y avait tout ce stress post traumatique à évacuer chez moi liée à de la maltraitance enfant.
    Je refais actuellement une nouvelle thérapie et j’ai redecouvert (parce que je l’avais déjà découvert à 12 ans mais j’étais dans le déni ) que je suis gay.
    Et actuellement je suis par moment perdu sur mon identité de genre.
    J’ai parfois pensé être transgenre durant ma nouvelle thérapie et suite à la rencontre d’hommes transgenres et de femmes transgenres récemment qui m’ont beaucoup troublé sur mon identité. Mais je n’ai jamais envisagé de transition je m’interroge juste sur cette possibilité, et en lisant les témoignages de personnes ayant détransitioné qui prennent conscience de ne pas être transgenre (différents des personnes qui détransitionnent à cause des pressions sociales et familiales) je ressens des similitudes avec leurs témoignages « du type » une homophobie intériorisée très forte et développement d’un fantasme très fort durant mon adolescence de devenir une fille.
    Durant mon enfance j’avais en revanche très peur d’être une fille à partir de l’âge de 4 ou 5 ans et je n’avais aucune envie d’être une fille.
    Je me sens perdu par moment je ressens des similitudes avec le témoignage de personnes trans par rapport à mon adolescence (envie d’être une fille ) et je ressens aussi de similitudes avec des personnes ayant detransitionné .
    Actuellement je n’ai aucune dysphorie de genre. En revanche j’ai eu cette peur intense d’être une fille ou d’être pris pour une fille durant l’enfance et j’étais très mal à l’aise avec mon pénis jusqu’à mes 10 ou 11 ans, donc est ce que c’est de la dysphorie de genre que j’ai fait durant mon enfance ?
    A noter : j’ai subi des attouchements quand j’avais 6 ou 7 ans, cet événement est réapparu dans mes souvenirs dans le cadre de ma nouvelle thérapie. Est ce que des attouchements peuvent avoir un lien de causalité avec ce malaise avec mon sexe ? Cependant ma peur d’être une fille c’était avant cet événement marquant quand j’étais à la maternelle.
    Donc c’est compliqué dans ma tête. Je ne pense pas être transgenre mais j’arrive pas à en être sûr à 100% à cause de ce vécu particulier et cette peur d’être une fille j’ai du mal à comprendre si c’est à cause de cette homosexualité latente en moi.

    Saurais tu m’aiguiller vers des ressources documentaires sérieuse à ce sujet ?

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    1. Salut, tout ce que tu décris est complexe et tu sembles déjà avoir de bon-nes pro pour t’entourer et te guider dans ton questionnement, avec tout ton vécu c’est sûr que c’est mieux d’avoir cet accompagnement thérapeutique. As-tu pensé au TOC sur le genre ? La peur d’être une fille, avec des questionnements inextricables qui tournent en boucle ? Je ne sais pas si cela peut correspondre. C’est possible aussi d’être dans le déni puis d’être plus libre de s’identifier trans après une thérapie. Les trauma peuvent beaucoup jouer sur le malaise avec son sexe oui, si tu as suffisamment guéri de tes traumatismes en thérapie, cela devrait « rentrer dans l’ordre ».

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      1. Bonjour
        Merci pour ta réponse.
        En effet je parle beaucoup à ma psychothérapeute de mes doutes sur mon identité de genre, en ce moment.
        En fait je suis resté longtemps dans le déni de mon homosexualité et ma psychothérapeute m’a beaucoup aidé à comprendre qui j’étais réellement.
        Et depuis j’ai aussi peur d’être dans le déni d’une transidentité dont je n’aurais pas conscience.
        Je crois que je suis dans un toc de genre parce que plus je parle à ma psychothérapeute et plus j’ai l’impression que je fais une confusion entre mon orientation sexuelle et mon identité de genre associé à des traumatismes sexuels subis durant l’enfance.
        Quand j’ai découvert mon homosexualité à 12 ans je mourrai d’envie d’avoir des relations sexuelles avec un garçon. Évoluant dans un environnement hyper homophobe j’aurais donné n’importe quoi pour devenir une fille afin de réaliser mes fantasmes homosexuels.
        Et c’est là que mon fantasme d’être une femme est apparu, parce que d’orientation homosexuelle je souffrais donc terriblement de ne pas être une fille et je regrettais beaucoup de ne pas l’être pour me sentir le droit d’aimer les garçons.
        En fait cette envie d’être une fille je l’associe à mon homophobie intériorisée, pour moi j’avais cette interdiction mentale sur les relations sexuelles entre garçons qui me bloquait. Et j’ai donc souffert d’être un garçon j’aurais donné n’importe quoi pour être une fille et avoir droit dans ma tête aux relations sexuelles avec les garçons.
        Je me suis enfermé dans une prison mentale m’empechant d’explorer mon homosexualité.

        Et durant mon enfance cette peur d’être une fille pourrait être associé à cette homosexualité latente en moi. Dans ma tête d’enfants il n’y avait pas place à une relation amoureuse entre garçons. Pour moi c’était le modèle une fille avec un garçon mais bon quand j’étais enfant je me rends compte que je suis en fait tombé amoureux de certains de mes copains quandj’étais enfant et donc cette peur d’être une fille a du apparaître à ce moment-là.
        Enfin voilà où je suis actuellement dans ma psychothérapie.

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  2. Bonjour
    J’ai 15 ans (et bientôt 16) (je suis né.e assigné.e femme) et je me poses des questions sur le fait que je puisses être trans, non-binaire et/ou lesbienne.
    Au primaire, mes camarades me demandaient parfois (pour rire ou pas je ne sais plus mais ce n’était pas drôle) si j’étais bien une fille et je répondais « non ». Alors ils me demandaient si j’étais un garçon et la réponse était « non ». Aussi par moments, dans ma tête je me disais que j’étais un garçon dans un corps de garçon qui voulait devenir une fille (un peu étrange tout ça) et aujourd’hui ça ne me le fait plus. Par contre depuis toujours j’ai un sentiment de déréalisation (j’ai appris le terme il n’y a pas longtemps). Quand j’étais petit.e c’était léger mais depuis 2-3 ans c’est beaucoup plus présent et j’ai vraiment l’impression que je suis perpétuellement dans un rêve. Il y a un autre évènement qui m’a interpellé : je venais d’arriver dans ma nouvelle école et on peut dire que j’ai eu un coup de foudre sur un garçon. En fait quand je l’ai vu la première fois, il était de dos et il avait les cheveux longs alors je l’ai pris pour une fille et je n’arrivais pas à accepter que ce soit un garçon. Depuis, au collège, j’ai dû tombé amoureux.se de deux/trois filles mais je ne l’accepte pas et je n’arrive pas à accepter le fait que je sois attirer par les filles (et aussi les hommes trans).
    Je m’excuses que ce soit aussi emmêlé et peu compréhensible 😅, c’est très confus dans ma tête. J’espère que vous pourrez m’éclairer et me donner quelques conseils malgré ce méli-mélo.

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